Dans l’immédiat, le PS et ses satellites en sont réduits au dépit, à la dispersion, pour ne pas dire au “sauve qui peut”. Crise de leaderships, opposition frontale sans vraiment formuler de propositions alternatives, critiques virulentes et sans distinction à l’égard des médias, sont les plus apparentes manifestations d’un inquiétant manque de cohérence et d’une absence sidérante d’idées. Passer du “tout sauf Sarko” au “tout sauf la TVA sociale” paraît bien court comme programme politique et en tout cas ne semble pas mobilisateur. En parcourant quelques blogs ou en écoutant des candidats on se rend vite compte que le PS ne sait plus que dire, ni comment le dire; l’autosuggestion de la méthode Coué a ses limites!
Pendant ce temps là, entre deux élections ou entre deux tours de législatives, la droite, triomphante, se permet d’annoncer sans sourciller des réformes à priori impopulaires et qui, en d’autres temps, auraient sans aucun doute provoqué des manifestations de toutes sortes.
Si la majorité surfe allègrement et sans difficulté sur la “vague bleue”, le PS, en revanche, paraît tétanisé, sclérosé et se retrouve presque dans la situation de la SFIO des années 60 durant lesquelles ce parti socialiste de notables, englué dans des querelles intestines à propos, entre autres, de la guerre d’Algérie, fut amené à se dissoudre; ce qui favorisa l’éclosion de l’ère Mitterrand. Donc au regard de cette expérience et en faisant l’hypothèse que toute crise majeure débouche sur le renouveau, on peut toujours espérer une nouvelle ère que chacun nommera à sa convenance! Mais nous n’en sommes pas là et il convient d’examiner d’un peu plus près ce qui peut expliquer le désarroi de la Gauche plurielle, unie, communiste, anti libérale, qui protège, etc., autant de qualificatifs dont on aurait perdu le sens, sans oublier le dernier en date, ”la démocratie téléphonique“!
Sans aller jusqu’à dire que le PS, et la Gauche dans son ensemble, prêchent dans le désert, on peut toutefois les représenter dans une grande traversée du désert. Est-ce nécessairement un mal?
La traversée du désert, au sens propre, peut comporter une part d’angoisse: on ne sait plus trop où l’on est et où l’on en est! On doit aussi s’en remettre complètement à des guides touaregs dont le rapport au monde et les modes de vie sont loin des nôtres. On est ainsi dans de bonnes conditions pour relativiser ses problèmes, revenir à quelques fondamentaux et se remettre les idées en place. Je proposerais volontiers aux caciques du PS un stage (bien sûr sans téléphone, sans 4X4, sans médias, etc.) de quelques jours dans le massif de l’Akakus (Libye), mais la période actuelle sur le plan climatique n’étant pas propice, on le remettra à des jours meilleurs! Ce qui ne doit pas empêcher de commencer rapidement la réflexion sans la renvoyer à l’après élections municipales, comme je l’ai entendu dire par une éminente sénatrice PS lors d’une réunion électorale. On propose donc quelques pistes de réflexion, rejoignant ainsi bon nombre d’hommes et de femmes de gauche qui ne se satisfont pas d’une stérile ”guerre des chefs”.
“Une critique ne consiste pas à dire que les choses ne sont pas bien comme elles sont. Elle consiste à voir sur quels types d’évidences, de modes de pensée acquis et non réfléchis, reposent les pratiques… Il y a toujours un peu de pensée même dans les institutions les plus sottes. Il y a toujours de de la pensée même dans les habitudes les plus muettes. La critique consiste à débusquer cette pensée et à essayer de la changer si nécessaire. La critique est absolument indispensable pour toute transformation” (Michel Foucault, “est-il donc important de penser?” entretien mai 1981, rapporté par Didier Eribon dans “D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française”, éd. Léo Scheer, 2007)
La chute du communisme a provoqué la disgrâce du marxisme, comme si ce modèle de pensée conduisait obligatoirement au totalitarisme - toute la pensée chrétienne serait-elle à rejeter sous prétexte que l’institution qui s’y réfère, a généré, à un moment de l’histoire, l’inquisition et les massacres liés aux croisades?-. Ce rejet, brutal et simpliste et qui va de pair avec la remise en cause du structuralisme, est bouleversant pour le socialisme qui a perdu ainsi son principal référentiel fondateur. Comment alors changer la réalité sociale “dès lors que la classe ouvrière est censée ne plus exister, parce que la théorie et le discours politique qui lui conféraient son existence en tant que classe sociale mobilisée ou mobilisable autour de ses intérêts de classe, ont disparu du champ politique et n’ont pas été remplacés par une autre approche donnant une place spécifique aux classes populaires et aux conflits sociaux” (Didier Eribon, op. cité)
La mise au rebus du marxisme a favorisé le retour en grâce du personnalisme d’Emmanuel Mounier, modernisé par quelques “nouveaux philosophes” médiatiques. C’est le primat du “sujet autonome“, libre de tout déterminisme social, responsable, méritant et fier de son appartenance à la Nation. On n’est pas loin du “Contrat social” de Jean-Jacques Rousseau où le peuple s’en remet librement à l’autorité politique de la Nation, contre-partie nécessaire pour pouvoir bénéficier de droits. La campagne présidentielle de S. Royal (donc du PS !) a été, consciemment ou inconsciemment, inspirée par cette philosophie: le “donnant-donnant”, “l’ordre juste”, la compassion, le lien social, le “aimons-nous”, la Marseillaise et le drapeau tricolore, etc., en sont issus. Il se dit que B-H.Lévy est l’un des principaux conseillers de S.Royal… Cela conduit à une politique humaniste qui peut très bien être mise en œuvre aussi bien par la droite que par la gauche et qui facilite grandement les alliances centristes. Cette politique projette une société sans clivages sociaux, où il fait bon vivre ensemble et où l’Éducation est LA solution à tous les maux (”l’Emile” de J.J. Rousseau n’est pas loin!). Et si par malheur quelques dérapages viennent perturber le bel agencement, les corrections se font surtout grâce à de l’action humanitaire et à de grandes envolées médiatiques émouvantes et consensuelles, type téléthon ou N.Hulot.
“Ses propositions (du PS) se firent de plus en plus sociétales et morales. Récemment, on y ajouta même une dose de régional et une ration de familial. Résultat : les catégories populaires et les couches moyennes déclassées ont déserté la gauche. On l’a vu le 21 avril 2002. Rebelote en 2007 : au premier tour, le duo Sarkozy-Le Pen a recueilli deux fois plus de suffrages des ouvriers et des employés que Ségolène Royal. Pendant que les inclus des grandes villes, la bourgeoisie d’artistes branchouilles, une partie de la jeunesse et les minorités sont devenus notre base sociale, Sarkozy fait un carton chez les salariés du périurbain et dans le monde rural en parlant travail, pouvoir d’achat, lutte contre les délocalisations et Europe qui protège. La leçon de cette histoire, c’est que la gauche doit clarifier son rapport au réel. La mondialisation est un fait dont il faut corriger les effets. Le problème, pour un socialiste, commence quand cette contrainte ne lui apparaît plus comme une donnée extérieure à laquelle il peut opposer une politique, mais comme l’intériorisation de l’impossibilité d’agir. C’est alors que le gestionnaire tue le réformiste, que la droite consume la gauche et que les dégelées succèdent aux déroutes. Et si on parlait enfin de tout cela au PS ?” (Guillaume Bachelay)
Ces brèves évocations des courants de pensée qui ont inspiré ou inspirent les représentations de la place de l’Homme dans les projets politiques de la gauche, sont-elles nécessairement en opposition? Leur rapprochement, à supposer qu’il soit possible, n’est pas sans poser quelques questions, en voici quelques unes:
- la pensée marxiste est-elle contradictoire avec la démocratie?
- le mouvement ouvrier est-il en voie de disparition? Qu’en est-il de son histoire?
- Si les classes sociales, comme lieu d’appartenance sociale, ne sont plus reconnues, ne va-t-on pas vers une atomisation du monde social et politique? Quel référentiel permettrait, par une redéfinition des identités sociales, d’éviter cette atomisation?
- Les objectifs économiques et sociaux des personnes en situation de précarité et à faible revenu, peuvent-ils rejoindre ceux des personnes “à l’aise” sur le plan économique? Certains antagonismes sont-ils solubles autrement que dans le conflit?
- Comment donner un sens politique au vécu social? Comment donner sens aux luttes actuelles souvent catégorielles, morcelées, ponctuelles?
Auxquelles on ajoutera quelques excellents sujets du BAC philo 2007, leur traitement pourrait déjà faire un beau programme :
- Toute prise de conscience est-elle libératrice?
- Le désir peut-il se satisfaire de la réalité?
- Peut-on en finir avec les préjugés?
- Que gagnons-nous à travailler?
- Peut-on se passer de l’État?
1. revisiter l’histoire: la gauche a eu des périodes fastes: 1936 et le Front Populaire, mai 1968, 1981 et F.Mitterrand … Cette histoire peut apporter des enseignements utiles mais aussi du réconfort puisqu’elle dit que rien n’est définitivement figé.
2. re-”convoquer” (parler avec) collectivement les militants de “base”, ceux et celles solidement impliqués dans la vie des entreprises privées et publiques, dans la vie des quartiers (associations de toutes sortes, parents d’élèves etc.), dans les ONG, etc. et mettre les “experts” au service de cette expression du “vécu social” et non l’inverse! En effet il semblerait bien que la valorisation des élites d’expertise (avec une dominante du discours Sciences Po et ENA) se fasse au détriment des élites militantes. “L’expertise politico-administrative l’a emporté sur l’expertise acquise dans l’action associative, syndicale” (Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, “la société des socialistes. Le PS aujourd’hui“, éd. le Croquant, 2006)
“Les militants constituent une élite et le parti socialiste doit rester une avant-garde. Mais prenons soin, Camarades, de ne pas accentuer le décalage entre la gauche des partis et la gauche du pays”.
Que dire de plus après ce propos judicieux de Pierre Mauroy lors de l’historique congrès d’Épinay de 1971? Sinon que le désert n’est pas nécessairement sans avenir ! "
lecture conseillée: “la Lucidité” de José SARAMAGO haut de page