Hôpital . A Robert-Debré, débordement chronique aux urgences pédiatriques.
Source : Libération
Pour arriver aux urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré dans le XIXe arrondissement de Paris, il faut traverser de larges couloirs. Longer des baies vitrées. Des guirlandes de saison décorent les locaux, très modernes. Point jaune, niveau - 3. On y est. A l’accueil, des jeunes femmes en blouse blanche plaisantent. Derrière son comptoir, l’une demande de l’aide. «Attends, ça va, c’est calme», rétorque sa collègue en lui prenant une pile de dossiers.
«Il y a du verglas, alors les gens ne viennent pas», expliquent plusieurs soignants. «Les soirs de match, on a aussi beaucoup moins de monde», sourit le professeur Jean-Christophe Mercier, qui dirige les urgences pédiatriques. Cet hiver est particulièrement difficile pour les urgences du plus grand hôpital pédiatrique de France. Les vacances de Noël, pis encore. De nombreux médecins de l’hôpital sont en vacances. Les généralistes et les pédiatres des environs aussi. Les épidémies explosent.
Refus. «Il y a un an, nous avons atteint un pic historique à 294 passages par jour. Aujourd’hui, on reçoit environ 300 enfants par jour. Vendredi dernier, on en a reçu 319. Toutes les deux minutes, un gamin arrivait. Comment peut-on gérer ça ?» s’interroge Jean-Christophe Mercier. Manque de soignants ? «Le ministère a refusé de définir des normes de personnel dans les services d’urgences, alors qu’il y en a en réanimation et en traumatologie», déplore Jean-Chrisophe Mercier.
Cause de cet engorgement : les consultations simples. En clair, les maladies bénignes, qui peuvent être traitées par les médecins de ville. Leur absence est souvent invoquée. «Les pédiatres sont moins nombreux dans le Nord-Est de Paris, explique le professeur. Ils préfèrent s’installer dans des secteurs où les gens payent. Ici, les gens repartent avec une ordonnance sans avoir rien déboursé.» A Robert-Debré, les enfants passent d’abord par des boxes, où les premiers examens sont réalisés. Ils sont «triés» selon la gravité de leur cas.
Devant les patients, une infirmière dissimule son ras-le-bol. «J’en ai marre, lâche-t-elle une fois seule. J’ai trois enfants. Je rentre toujours hyperfatiguée. Avant, on avait des grosses journées les week-ends. Maintenant, c’est toute la semaine. On passe la journée à courir dans tous les sens. On est moins disponible pour les gens. On va plus vite. Quand il y a beaucoup de monde, on passe la tête et on jette un œil à la file, pour vérifier qu’un bébé n’est pas en train de s’étouffer dans son maxi-cosy.» Avec ses collègues, elles ont beaucoup parlé de l’erreur commise par l’infirmière de Saint-Vincent de Paul, qui a coûté la vie à un enfant de 3 ans. «Ça peut toutes nous arriver. Le problème, ce sont les habitudes : on fait toujours le même geste pour prendre le même flacon. Les ampoules se ressemblent toutes. Moi, quand je prends un paquet de compresses, je ne vérifie pas la date de péremption. Pour les flacons, c’est pareil. Alors qu’on a l’obligation de lire», explique l’infirmière.
Passé un premier examen, il faut attendre le médecin. Entre une et six heures. Les enfants regardent Télétoon sur des écrans plats. La plupart des familles reçues sont d’origine étrangère. « 39 % de nos patients viennent de Seine-Saint-Denis, signale Jean-Christophe Mercier. On a beaucoup de sans-papiers. La moitié des coordonnées qu’on nous laisse sont fausses. L’autre jour, une mère est venue pour son enfant qui avait la grippe. Enceinte, elle a fait un malaise. Elle vivait dans un squat à Drancy. Elle a voulu voir l’assistante sociale, qui est là de 8 heures à 20 heures, pour qu’on lui trouve un logement», raconte la femme médecin.
Démissions. Dans la salle de consultation, elle donne ses recommandations en tentant de couvrir les hurlements du bébé qui souffre d’une gastro. Son médecin généraliste habituel n’était pas là. «Aujourd’hui, j’ai eu 24 consultations, indique la médecin à 18 heures. Seulement un ou deux gamins avaient réellement besoin de venir aux urgences.»
La médecin dit au revoir. Se ravise. «Oh là, je ne vous ai pas fait l’ordonnance, je vais trop vite!» rit-elle. «On manque de moyens , souffle-t-elle. Les infirmières démissionnent les unes après les autres. Celles qui restent sont épuisées. Cet hiver, on a une trentaine de lits de moins que l’hiver dernier. Il y a des enfants plein les couloirs. Un jour, ma supérieure a appelé un hôpital à Orléans pour trouver une place. J’accepte encore de travailler pour 10 euros de l’heure. Mais je vais me lasser. On a plus de vie personnelle. Ici, il y a un taux de divorces inimaginable.»
Grenelle. Il y a quelques jours, Roselyne Bachelot est venue dans le service de Jean-Christophe Mercier. Il a demandé un Grenelle des urgences. La ministre n’a pas eu le temps de regarder son diaporama sur l’état alarmant du service. Son directeur de cabinet est parti avec. A 19 h 30 une dizaine de familles patientent, bébés dans les bras. Une dame arrive, l’air inquiet. Elle se dirige vers l’accueil. Elle voudrait la monnaie sur 10 euros.